La retraite face aux groupes sociaux

« Quand il n’y a pas de foin dans le râtelier, les chevaux se battent », affirme un ancien dicton.

Les groupes sociaux

Que le foin ait été inégalement réparti entre les râteliers au cours du dernier quart de siècle pourrait difficilement être mis en doute.

Les groupes sociaux

Les groupes sociaux

Mais, du moins, la quantité de foin augmentait-elle régulièrement, ce qui permettait de faire patienter certains appétits.

Toutefois, il n’est pas sûr que faire patienter constitue un moyen permanent d’arbitrage entre les groupes sociaux, ni même que le fourrage continue régulièrement à s’accroître au rythme que nous avons connu.

Dans ces conditions, il sera inévitable de se pencher d’un peu plus près sur les problèmes de répartition des richesses.

En termes de retraites, cela signifie qu’il sera difficile de faire indéfiniment coexister des régimes riches et des régimes pauvres sans que cela risque de provoquer des ruades et des régimes à tout le monde.

Les promesses faites au cours des campagnes électorales

Lors des dernières élections présidentielles, les cadres ont pris soin d’interroger les candidats par l’intermédiaire de leurs organisations représentatives.

Et les candidats se sont engagés, avec la solennité d’usage en pareille circonstance, à ne pas toucher aux régimes de retraite des cadres.

Il ne saurait évidemment être question de mettre en doute la parole d’un candidat à une élection, surtout présidentielle.

Toutefois, il n’est pas interdit de se livrer à quelques réflexions. Quand un candidat passe du discours aux affaires, il arrive qu’il découvre des problèmes dont la solution exige des sacrifices imprévus, auxquels il faut bien consentir, la mort dans l’âme, sacrifices que l’on compense par de menus avantage et de bonnes promesses.

Dans le cas présent, constatons que si les candidats se sont engagés à ne pas casser les tirelires des cadres, ils n’ont pas pris et ne pouvaient d’ailleurs prendre une résolution concernant le plafond de la sécurité sociale.

Les salaires des cadres

Or, on n’a pas oublié que les salaires des cadres sont divisés en trois tranches, A, B et C. La tranche B part du plafond de la sécurité sociale pour s’arrêter au plafond des cadres ou culminer au total du salaire si ce dernier n’atteint pas le plafond cadre.

Les cotisations de retraite des cadres sont calculées sur la tranche B. Il est donc bien certain que l’on peut progressivement tarir la source à laquelle s’alimentent les caisses si le plafond des cadres ou leurs salaires s’élèvent moins vite que le plafond de la sécurité sociale.

Un relèvement proportionnel du plafond cadre ne changerait pas les données du problème. Si les cotisations de retraite sont susceptibles d’être perçues sur la totalité de la tranche B, elles ne le sont évidemment que sur la part du salaire située dans la tranche B.

Le relèvement du plafond de la sécurité sociale serait donc sans influence sur les régimes de retraite à la seule condition que les salaires eux-mêmes soient augmentés proportionnellement.

Ce n’est pas aussi facile. En 1974, les salaires des cadres ont augmenté de 14 % et le plafond de la sécurité sociale de 18,5 %.

Les salaires des cadres

Les salaires des cadres

De 1963 à 1973, les salaires des cadres et le plafond de la sécurité sociale ont été respectivement augmentés de 96 et 134,5 %.

Les avis des cadres

Les cadres prétendent qu’ils se défendront. C’est sans soute dans leurs intentions. Mais celles-ci sont peu réalistes, pour trois raisons.

Moralement et techniquement, ils ne sont pas préparés aux actions de revendication. Ce n’est pas un reproche à leur faire, mais un fait à constater.

Ils oublient en outre que, vis-à-vis des autres groupes sociaux, ils font encore largement figure de bourgeois ou, du moins, de privilégiés.

Et l’expérience montre que les grèves sont rarement très populaires lorsqu’elles sont déclenchées et poursuivies par des fractions de la population relativement favorisées.

Enfin, et surtout, il est probable qu’un relèvement du plafond de la sécurité sociale donnerait lieu à manifestation – courtoise – de la part des cadres s’il était opéré brutalement et atteignait un niveau considérable.

Les cadres auraient alors beau jeu de dénoncer le phénomène. Ils ne seraient pas les seuls, l’ensemble des entreprises et nombre de salariés jugeant cette mesure peu tolérable.

Mais l’affaire pourrait être plus progressive. Peu à peu, les caisses de cadres se trouveraient moins à l’aise. Les cadres auraient peut-être alors tendance à se présenter aux pouvoirs publics en demandeurs plutôt qu’en contestataires.

Ainsi, par le jeu alterné de relèvement du plafond et d’avantages savamment dosés, la retraite des cadres aurait un jour disparu, sans convulsions sinon sans douleurs.

Au début de 1975, le gouvernement a annoncé son intention de relever le plafond de la sécurité sociale de 25 %.

Les cadres ont affirmé qu’ils n’accepteraient pas plus de 15 %, augmentation qui correspondait pratiquement à celle de leurs traitements.

On s’est donc expliqué et on a coupé la poire en deux par un relèvement de 18,5 %, ce qui a permis à certains de chanter victoire.

Le relèvement du plafond ne constitue d’ailleurs pas le seul danger. En 1972, il a été décidé que les cadres cotiseraient à l’ARRCO pour la partie de leur salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale.

Comment s’insurger contre une mesure à caractère apparemment très technique et au demeurant peu compréhensible par la plupart des intéressés ?

Pourtant, cela signifie que l’on s’achemine déjà vers un régime commun aux non-cadres et aux cadres et que, dans l’attente, les seconds commencent déjà à subventionner les premiers.

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